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L’invité de La Française : Franck Rousseau, directeur des relations institutionnelles du Groupe La Française, reçoit Philippe Charlez, expert en énergie durable et politique.

01 décembre 2021

 

 

FR : Philippe, vous êtes un ingénieur énergéticien internationalement reconnu, vous êtes professeur à Sciences Po, à l’ISEP, vous êtes également professeur aux Mines de Paris Tech. Vous venez de publier un ouvrage aux éditions Jacques Marie Laffont, L’utopie de la croissance verte, vous présentez une vision novatrice de la transition énergétique et vous abordez les différents leviers possibles.

Réduire l’intensité carbone et l’intensité énergétique sont pour vous les deux clés de la transition énergétique. Où les progrès seront-ils les plus efficaces, les plus rapides et moins couteux en termes d’investissements et changements de comportement ?

PC : Je pense qu’il faut d’abord bien redéfinir ce que sont l’intensité carbone et l’intensité énergétique. L’intensité énergétique rapporte la quantité d’énergie dépensée par un pays ou par une région à la production de richesse de cette région, donc cela va s’exprimer en kWh par dollar, c’est la quantité d’énergie requise pour produire une unité de richesse. Alors qu’au contraire, l’intensité carbone est le rapport entre la quantité d’énergie consommée et la quantité de carbone émise.
Bien évidemment, moins on va émettre de carbone et moins on va consommer d’énergie pour émettre la même quantité de richesse, mieux ce sera.

Ce sont donc effectivement les deux grands leviers pour arriver à réaliser la transition énergétique : c’est moins d’énergie et moins de carbone pour arriver à toujours produire la même quantité de richesse.

Parmi les deux, réduire l’intensité énergétique apparait plus simple que de réduire l’intensité carbone, puisque l’intensité énergétique on va simplement réduire la consommation énergétique mais avec des équipements qui finalement sont semblables ; on va simplement les rendre plus efficaces. C’est vraiment un indicateur d’efficacité énergétique. Alors qu’au contraire, l’intensité carbone si on a des équipements thermiques, pour réduire et pour annuler l’intensité carbone on va être obliger de remplacer les équipements.

Définitivement on peut réduire plus facilement l’intensité énergétique que l’intensité carbone.

En plus, l’intensité énergétique se réduit à la fois grâce à des efforts techniques mais aussi à des efforts comportementaux ; alors qu’au contraire l’intensité carbone demande un remplacement d’équipement, donc c’est essentiellement un effort technique.

Si je prends un exemple : on peut réduire l’intensité énergétique en améliorant l’efficacité des moteurs thermiques en consommant moins d’essence pour une même longueur de transport, mais on peut aussi par comportement télétravailler pour consommer moins. Au niveau de l’intensité carbone, on ne pourra pas l’annuler sans passer de la voiture thermique à la voiture électrique. C’est quand même plus compliqué de réduire l’intensité carbone que l’intensité énergétique, donc travaillons avant tout sur l’intensité énergétique.

FR : On parle beaucoup d’hydrogène vert : quel usage ?
Peut-on avoir de l’hydrogène vert décentralisé ? A votre avis, à quelle échéance peut-on s’attendre à son développement massif, avec une baisse significative des coûts de production et des coûts de distribution ?

PC : L’hydrogène vert est effectivement un vecteur clé de la future transition énergétique, sa principale application c’est la mobilité, les transports, puisque on utilise de l’hydrogène dans une voiture électrique. Globalement on va refabriquer à l’intérieur de la voiture de l’électricité avec de l’hydrogène, ce qui donne évidemment un avantage décisif par rapport à la voiture électrique classique, à la fois en termes de temps de charge et en termes d’autonomie ; puisque l’on va remplir sa voiture extrêmement rapidement, presque aussi rapidement qu’une voiture à essence, et on va pouvoir 500-600 km.

Deux problèmes, même trois, à l’hydrogène.

Le premier est qu’il faut le fabriquer et on fabrique donc l’hydrogène vert à partir d’une technique qui s’appelle l’électrolyse de l’eau. Pour faire simple : on injecte de l’électricité dans de l’eau, on va casser la molécule d’eau en une partie hydrogène et une partie oxygène, on va récupérer l’hydrogène. Cela veut dire que derrière la fabrication de l’hydrogène, on a besoin de beaucoup d’électricité.

Deuxième inconvénient de l’hydrogène : son coût. Il y a le coût de production, qui aujourd’hui est de l’ordre de 7 à 8 euros le kilo d’hydrogène, plus après son coût de distribution. Il faut savoir que l’hydrogène est comprimé, pour avoir des quantités suffisantes, à environ 700 ou 800 bars – ce qui fait 800 fois la pression atmosphérique, c’est absolument considérable – et donc cela veut dire que les « pompes à hydrogène », équivalente des pompes à essence, coûtent, de ce fait haute pression, beaucoup plus chère que les pompes à essence classique. Il y a pratiquement un facteur 10/1 : une pompe à essence coûtant de l’ordre de 100 000 euros, une « pompe » à hydrogène coûte près d’1 000 000  d’euros. Ce qui veut dire qu’avant d’avoir un réseau de distribution aussi maillé que le réseau de distribution d’essence aujourd’hui, il va se passer beaucoup de temps. C’est pour cela que les première application sont en mobilité de l’hydrogène sont essentiellement les grosses compagnies soit de bus, soit de camions, soit de même éventuellement de bateaux, voire pourquoi pas d’avions, qui effectivement vont pouvoir mutualiser leur distribution et même fabriquer leur hydrogène eux même.
Je vais prendre comme exemple la ville de Pau, qui a aujourd’hui une flotte de dix ou quinze bus marchant à l’hydrogène et qui fait sa propre production d’hydrogène.

Le dernier inconvénient est que l’hydrogène est un produit très explosif par rapport au gaz et très inflammable. Ceci demande donc de prendre un certain nombre de précautions, mais on possède toute les technologies pour se protéger et atténuer les risques.

Je crois donc beaucoup en l’hydrogène.

Vous me demandiez « à quelle échéance » : il est évident que dans la mobilité lourde on peut avancer relativement vite, pour la mobilité pour la mobilité plus « légère », c’est-à-dire essentiellement les voitures, très probablement cela ne commencera à représenter une part significative du parc qu’à l’horizon d’une bonne quinzaine d’années.

Mais je crois beaucoup à l’hydrogène pour la mobilité longue distance et aussi forte puissante, c’est-à-dire camions, bateaux et avions.

FR : Que pensez-vous du marché du carbone aux frontières ?

PC : Le marché du carbone au frontière est quelque chose d’absolument indispensable pour rendre l’économie verte plus rentable que l’ancienne économie brune basée sur notamment le pétrole, le gaz et le charbon.

Ce que je pense c’est que le marché du carbone doit impérativement être européen, on ne peut pas créer un marché du carbone purement français si nos voisons européens ne partagent pas ce marché du carbone, pour des raisons de compétitivités d’entreprise.

Le marché du carbone commence à fonctionner correctment, on est aujourd’hui à environ 60 euros par tonne. On sait que des technologies comme par exemple l’hydrogène, comme l’on vient d’en parler, ou bien le CCUS, c’est-à-dire la capture et la réinjection du carbone, deviennent rentables et plus rentables que les fossiles au-delà de 100 euros par tonnes.

Je pense que l’on est pas très loin aujourd’hui d’un marché du carbone qui va devenir efficace. Il a mis beaucoup de temps mais la réduction récente des quotas qui avait été imposée par l’union européenne en 2019 commence à porter leurs fruits et on devrait dans les années à venir avoir en Europe un marché efficace. La question du marché hors Europe est souvent posée, il faut quand même savoir que 75% du marché commercial européen est intra-européen, donc se passe entres européens, et donc le fait qu’aujourd’hui américains et chinois n’adhèrent pas au marché européen du carbone n’empêchera pas son développement. Ce marché européen du carbone commence et devrait dans les années à venir trouver son bon niveau d’efficacité.

FR : Une question d’actualité : la COP26 vient de se terminer, quel bilan peut-on en tirer ?

PC : Vous m’aviez déjà poser la question lors de notre dernière interview, je ne sais plus de quelle COP il s’agissait, mais je dirais que la COP26 est un « Couper-Coller » de ses 25 éditions précédentes. Avec donc ses rites, ses réunions interminables, ses manifestations de rue et enfin ses conclusions peu engageantes, si j’ose dire.

Je reste convaincu que la transition énergétique ne peut pas être une transition énergétique mondiale. C’est la raison pour laquelle on essaie de mettre autour de la table des pays qui finalement ont des histoires, des géographies et surtout des niveaux de développement extrêmement différents, mais c’est également la raison qui fait que l’on aboutit pas à des conclusions patentes.

Le deuxième point, c’est que l’on reste complètement enfermé dans des agendas inversés, c’est-à-dire que l’on donne un objectif à postériori et cet objectif ne peut pas être atteint mais on ne donne jamais les moyens à la fois financiers, humains et techniques pour y arriver. Je crois donc, à l’avenir, beaucoup plus en des COP régionales, juridiquement contraignantes, alors que la COP ne l’est pas puisque l’ONU n’a aucun pouvoir sur les différents pays pour imposer les objectifs signés. On a évolué sur des COP à la fois régionales et thématiques, on a par exemple une vingtaine de pays qui sont tombés d’accord pour sortir du charbon ; un certain nombre de pays qui sont également tombé d’accord pour réduire, première fois, leur consommation d’énergies fossiles ; également un groupe d’accord pour sortir de la voiture thermique à un horizon 2040.

Je crois donc que ces groupes thématiques voire régionaux devraient à l’avenir remplacer cette grande messe mondiale qui pour moi n’a plus aucun sens.

FR : Philippe Charlez, merci d’avoir été notre invité et à très bientôt.

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