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Souveraineté, qualité et durabilité des systèmes agroalimentaires : l’équilibre impossible ?

Publié le
Écrit par Mathilde MOULIN

Rédigé le 6 octobre 2025

Par Mathilde MOULIN, Responsable Adjointe de l’Analyse Financière et Extra-financière, Crédit Mutuel Asset Management

Crédit Mutuel Asset Management est une société de gestion d'actifs de Groupe La Française, holding de la filière gestion d'actifs du Crédit Mutuel Alliance Fédérale.

Le secteur agroalimentaire, au cœur des objectifs de développement durable des Nations-Unies, doit répondre simultanément à plusieurs exigences : produire suffisamment pour nourrir une population mondiale toujours plus nombreuse, tout en préservant la biodiversité et en garantissant des produits sains et nutritifs. Toutefois, ces objectifs sont-ils réellement conciliables ou s’agit-il d’un équilibre impossible à atteindre ? Pour faire face à cette triple exigence – quantité, qualité, durabilité – une transformation en profondeur du secteur agroalimentaire est nécessaire.

Un secteur sous tension : entre dépendance, pressions et nécessaire transformation

Le secteur agroalimentaire est à la fois dépendant de la nature et en partie responsable de sa dégradation. Il est fortement tributaire de facteurs naturels fragiles, de plus en plus menacés, tels que l’accès à l’eau, la stabilité du climat et la qualité des sols. Les événements climatiques extrêmes (sécheresses, inondations, vagues de chaleur, ouragans…) se multiplient et peuvent, par exemple, perturber les récoltes et fragiliser les chaînes d’approvisionnement. Un exemple marquant de cette forte dépendance : la pénurie de moutarde dans les rayons des supermarchés en 2022. Il s’agissait d’une conséquence de la sécheresse de l’été 2021 qui avait fait chuter de moitié la production de graines de moutarde au Canada[1], l’un des principaux exportateurs mondiaux. A lui seul, le secteur est responsable d’un tiers des émissions mondiales de gaz à effet de serre, de 70 % des prélèvements d’eau douce et de près de 80 % de la perte de biodiversité[2].

Dans un rapport publié en 2021, l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a estimé que plus d’un tiers des terres agricoles seraient modérément ou sévèrement dégradées[3], entraînant une diminution des rendements. Or, d’ici 2050 et dans un monde aux ressources limitées, il faudra augmenter la production agricole de 70% pour nourrir entre 9 et 10 milliards de personnes[4]. L’agriculture intensive, longtemps perçue comme l’unique solution pour faire face à la croissance de la population, montre aujourd’hui ses limites.

La nécessité de repenser les modèles de production est renforcée par l’émergence de nouvelles attentes sociétales. Les consommateurs, ébranlés par divers scandales alimentaires (viande de cheval, lait contaminé...) et de plus en plus sensibles à l’impact de leur alimentation sur leur santé, réclament des produits sains, de qualité, locaux, peu transformés et respectueux de l’environnement.  

Des solutions multiples pour une transformation systémique

Face à ces constats, une transformation profonde des systèmes agroalimentaires est indispensable. Afin d’être efficace, celle-ci devra être multiforme et capable de mobiliser tous les acteurs de la chaine de valeur.

L’innovation technologique et agronomique offre en premier lieu des leviers puissants pour optimiser les pratiques agricoles et améliorer la sécurité des produits alimentaires.

  • L’agriculture de précision[5] notamment, permet de diminuer l’usage des intrants (engrais, pesticides, etc…) et de l’eau tout en maintenant les niveaux de production et les rendements. Il existe par exemple des pulvérisateurs intelligents, équipés d’algorithmes d’apprentissage automatique qui les rendent capables de reconnaître les mauvaises herbes, réduisant drastiquement l’usage de produits chimiques.
  • Les biotechnologies jouent également un rôle clé, en proposant des solutions de protection biologique des cultures ou des micronutriments, pour enrichir les sols. En parallèle, les avancées en génomique, notamment via la technique CRISPR-Cas9[6], ouvrent la voie à une amélioration ciblée des semences, avec des bénéfices en termes de productivité, qualité nutritionnelle et résistance aux aléas climatiques.
  • Enfin, l’Internet des objets (IoT) apporte quant à lui de nouvelles opportunités en matière de suivi de sécurité alimentaire. Il est maintenant possible de suivre et analyser en temps réel la qualité des aliments via des sondes connectées qui transmettent des données en continu sur la température, le taux d’humidité ou la maturité d’un produit.

Mais, l’innovation ne suffit pas, il faut également repenser les pratiques agricoles pour corriger les travers de l’agriculture intensive.

  • L’agriculture régénératrice notamment, qui repose sur des techniques comme la rotation des cultures, l’agroforesterie, la couverture des sols, le non-labour ou la polyculture-élevage, respecte mieux la biodiversité, favorise la fertilité des sols et la capture du carbone et renforce la résilience des systèmes agricoles face aux aléas climatiques.
  • A l’autre bout de la chaine de valeur, les modèles économiques traditionnels des entreprises de l’industrie agroalimentaire sont également à revoir. Elles doivent reformuler leurs produits (réduire leur teneur en sel, en sucre, en gras ou en additifs), proposer des produits de nutrition spécialisée agissant sur le bien-être et la santé. De plus, ces entreprises peuvent mettre en place des programmes de Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) robustes et holistiques pour réduire l’impact environnemental et garantir la sécurité des produits, sensibiliser les clients à la lutte contre le gaspillage alimentaire ou encore promouvoir une consommation plus raisonnée.

Enfin, les politiques publiques ont un rôle clé à jouer via le soutien à la recherche agronomique, les subventions à la transition agroécologique, la régulation des pratiques industrielles et l’éducation des consommateurs.

Des freins persistants à lever

Il existe donc bel et bien des solutions pour que la filière agroalimentaire se transforme et relève le triple défi : quantité, qualité et durabilité. Mais cette transformation reste freinée par plusieurs verrous structurels. 

Le premier frein réside dans le coût et l’acceptabilité sociale. Si les produits issus de filières durables gagnent en visibilité, leur prix plus élevé constitue un frein pour certains consommateurs. Cette réticence pèse sur la demande et freine l’investissement des acteurs économiques dans des pratiques plus vertueuses.

Un autre obstacle majeur concerne l’accès limité aux technologies innovantes. En effet, dans de nombreuses régions, en particulier rurales ou situées dans des pays en développement, les agriculteurs manquent de moyens financiers et de formation adéquate pour adopter les technologies de pointe, pourtant essentiels à l’amélioration de la productivité et à la réduction de l’impact environnemental. La fragmentation des marchés agricoles complique la diffusion des solutions durables. Les chaînes de valeur sont souvent complexes, éclatées entre de multiples acteurs, ce qui rend difficile le passage à l’échelle de pratiques plus responsables.

Enfin, le manque de coordination entre les parties prenantes (acteurs publics, privés, associatifs et financiers) freine la dynamique de transformation. Sans gouvernance partagée ni incitations claires, les initiatives restent trop souvent isolées et limitées dans leur portée.

Ainsi, un modèle agroécologique conciliant sécurité alimentaire, respect de l’environnement et qualité des produits est possible, mais sa mise en œuvre nécessite des investissements massifs, une volonté politique forte et une mobilisation collective et coordonnée. Une fois la transition réussie, le secteur agroalimentaire, longtemps vu comme problématique, pourra alors devenir une partie de la solution aux grands défis environnementaux et sociétaux du monde contemporain.

Le présent commentaire est fourni à titre informatif uniquement. Les opinions exprimées par le groupe La Française sont fondées sur les conditions actuelles de marché et sont susceptibles d'évoluer sans préavis.  Les informations contenues dans cette publication sont basées sur des sources considérées comme fiables, mais le groupe La Française ne garantit pas qu'elles soient exactes, complètes, valides ou à propos. Publié par La Française Finance Services, dont le siège social est situé 128 boulevard Raspail, 75006 Paris, France, société réglementée par l'Autorité de Contrôle Prudentiel en tant que prestataire de services d'investissement, n° 18673, et enregistrée à l’ORIAS (www.orias.fr) sous le n°13007808 le 4 novembre 2016 est une filiale de La Française. Crédit Mutuel Asset Management : 128 boulevard Raspail 75006 Paris est une société de gestion agréée par l'Autorité des marchés financiers sous le n° GP 97 138 et enregistrée à l’ORIAS (www.orias.fr) sous le n° 25003045 depuis le 11/04/2025. Société Anonyme au capital de 3 871 680 €, RCS Paris n° 388 555 021.

 

[1] https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2022/10/31/canada-quelles-recoltes-en-2022

[2] https://www.unfoodsystemshub.org/fs-stocktaking-moment/programme/food-systems-for-the-planet/en

[3] https://openknowledge.fao.org/server/api/core/bitstreams/e102fb02-aecf-4f13-bb9d-ed2305299df8/content/src/html/chapter-1-2.html

[4] https://www.fao.org/fileadmin/templates/solaw/files/thematic_reports/TR_02_light.pdf

[5] « L’agriculture de précision est un concept de gestion de l’agriculture moderne qui utilise des techniques numériques pour contrôler et optimiser les processus de production agricole. » https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/STUD/2016/581892/EPRS_STU(2016)581892_FR.pdf

[6] La technique CRISPR-Cas 9 est une technique génétique qui permet de couper des morceaux d’ADN de façon simple et précise pour les remplacer par d’autres morceaux d’ADN.

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